mardi 10 janvier 2012

d'après une nouvelle d' Albert Camus, Nocesà Tipasa

Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure. Il n’y a qu’un seul amour dans ce monde.
 Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel  vers la mer.
 Tout à l’heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps,
 j’aurai conscience, contre tous les préjugés, d’accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle 
de ma mort. Dans un sens, c’est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs
 de la mer et des cigales qui commencent à chanter maintenant. La brise est fraîche et le ciel est bleu.
 J’aime cette vie avec abandon et veux en parler  avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition d’homme.
 Pourtant, on me l’a souvent dit : il n’y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi : ce soleil, cette mer, mon cœur 
bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l’immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent
 dans le jaune et le bleu. C’est à conquérir cela qu’il me faut appliquer ma force et mes ressources.
 Tout ici me laisse intact, je n’abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque ; il me suffit d’apprendre
 patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tous leurs savoir-vivre.
Un peu avant midi, nous revenions par les ruines vers un petit café au bord du port…..
Jamais je ne restais plus d’une journée à Tipasa. Il vient toujours un moment où l’on a trop vu un paysage, 
de même qu’il faut longtemps avant  qu’on l’ait assez vu. Les montages, le ciel, la mer sont comme des visages 
dont on découvre l’aridité ou la splendeur, à force de regarder au lieu de voir. Mais tout visage, pour être éloquent,
 doit subir un certain renouvellement.
Et l’on se plaint d’être trop rapidement lassé quand  il faudrait admirer que le monde nous paraisse nouveau
 pour avoir été seulement  oublié. 



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